Les Lettres Françaises n°33, juin 1993, Claude Mourthé


Dans plusieurs de ces nouvelles, Pierrette Fleutiaux revient de manière insistante sur une certaine partie du XVlle arrondissement, celle des Batignolles, qu’elle habite. Elle en fait une sorte de territoire mythique, qui m’a intrigué. Je l’interroge.

C’est un quartier, me répond elle, où l’on a l’impression de voir un peu plus de ciel qu’ailleurs. Clichy me rappelle Broadway. (Elle a vécu sept ans à New York.) Dans la tranchée allant de Saint Lazare à Pont Cardinet, les trains passent sans arrêt. On peut rêver. « 

Le timbre de voix de Pierrette Fleutiaux est agréable, flûté, justement. Elle aime rire, cela se sent. Elle rit en ajoutant :

C’est le  » mauvais  » XVlle. Le parc Monceau est trop bourgeois. « 

Enseignante au lycée Chaptal, elle s’émerveille qu’on ait ravalé la façade :  » C’est très beau. C’est tout blanc. «  Elle s’émerveille de beaucoup de choses, et telle est sans doute la clé donnant accès aux univers imaginaires qu’elle décrit. Au départ, souvent, un tout petit fait de la vie quotidienne, puis l’imagination vagabonde, parvenant quelquefois à l’abstraction pure, comme dans Le Cylindre, une nouvelle qui a la forme de l’objet même, très concret.

Comme dans Le Fond de l’esprit, où d’étranges mamelles pendant,  » pour téter le monde par tous les bouts « , où l’on ouvre brusquement la fenêtre d’un hôtel de luxe sur un paysage du Caire.  » C’est quelque chose de très violent, l’Égypte « . En voiture rappelle que nous sommes enfermés dans notre propre corps et que nous ne pouvons en sortir. Une éraflure sur la carrosserie déclenche une véritable tragédie. Dans Le Mariage de Nadia, surgissent d’étranges encordonnés : lisez « ligotés »

Nous le sommes tous, par la télévision, la voiture, les habitudes, et aussi par les vêtements. J’ai un rapport très difficile avec les vêtements. Je ne sais jamais lesquels choisir.Finalement, on ne se sent bien qu’au lit, et toute nue. Mais les situations de tous les jours m’amusent. Tout m’est bon, même un roman Harlequin. C’est ma tournure d’esprit. « 

Et elle ne sait jamais si elle va écrire une nouvelle de dix pages, ou un pavé comme « Nous sommes éternels, » prix Fémina :

II n’y a pas de différence, à part le point de départ, parfois tout bête. »

Bien sûr, un de ses maîtres, c’est Kafka, dont elle a découvert à 32 ans l’humour tragique :  » Sa vision noire m’a soulagée. Mais surtout Henri Michaux, qui l’a profondément influencée. Les peintres aussi : Klee, Miro Hopper. Et qui sait, quelque part, le doux Verlaine, autre habitant des Batignolles, où le ciel paraît plus vaste qu’ailleurs.

Claude Mourthé, Les Lettres Françaises n°33 ( juin 1993 ).