Sud Ouest Dimanche, 9 oct 2005, Isabelle de Montvert-Chaussy


LE RÉEL ET SON DOUBLE

Comment la fascination dépasse l’entendement pour pousser au meurtre. Un roman grave. Un ton inhabituel chez cette auteure.

Il y a Raphaël, gamin mal grandi dans une cité terne de Bourgneuf. Il y a les jumeaux, Camille et Léo. On se croirait chez Cocteau, avec ces « Enfants terribles », ce Gérard fasciné par Paul et Elizabeth, tendre et cruelle fratrie qu’un tiers doit renforcer par une mise à l’épreuve permanente des attachements. Les jeux dangereux et les heures incertaines sont les mêmes. Raphaël est captivé, magnétisé par ces jumeaux si ressemblants, et qui se jouent de lui, il le sait, comme deux sangsues sulfureuses pourtant aimantes, mais désinvoltes dans l’amitié. Raphaël est soumis à ce magnétisme malsain, il les suit, il les accompagne dans leurs jeux interdits, à la frontière de l’inceste à la frontière d’un Œdipe qui file de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte, quand Anne, joli papillon innocent, va perturber ce fragile et pervers équilibre.

Très différent.
Le roman, c’est le récit écrit de Raphaël à ceux qui le jugent après l’infâme. Car les jeux ont été jusqu’au meurtre, jusqu’à la mort, et nul ne sait ce que Léo et Camille ressentent de ce gâchis inextricable, de cette folie sensuelle dans toute l’acception du mot.

Voici un texte très différent des précédents pour Pierrette Fleutiaux. Point de ce lyrisme ponctué de cocasserie, point de légèreté. Ils ne seront pas heureux, ils ne seront ni sauvés ni éternels. Depuis qu’elle publie chez Actes Sud, Pierrette Fleutiaux fait dans le grave. Ce n’est pas grave, c’est juste fort.

Isabelle De Montvert Chaussy, Sud Ouest Dimanche (9 oct 2005).