Le Monde des Livres, 21 oct 2005 – Josyane Savigneau


DES DESTINÉES ÉTRANGES ET TRÈS PEU SENTIMENTALES

Si vous ouvrez « Les Amants imparfaits », le dernier roman de Pierrette Fleutiaux, prévoyez d’avoir quelques, heures devant vous, car vous ne pourrez pas interrompre la lecture de ces 300 pages. L’intérêt des écrivains pour le double, la gémellité, quand il ne relève pas de la convention, du procédé, est, comme ici, inquiétant et fascinant.

Il faut lire avec attention le subtil récit de Raphaël – celui qu’il veut écrire, sa  « première expérience d’écrivain » . L’a-t-il vraiment vécu ? Il tente de comprendre – et de faire comprendre – ce qui l’a conduit, à 20, ans, avec les jumeaux Léo et Camille, 17 ans devant un juge d’instruction, puis dans une salle d’audience. Un meurtre ? Sans doute ? Mais pourquoi et comment ?

Tout commence dans une petite ville de la province française. Raphaël, 9 ans, vit avec sa mère veuve, employée de mairie. Léo et Camille, 6 ans, viennent passer un an chez les voisins, leurs grands-parents. Leur père a grandi dans cette petite ville, puis il a réussi, comme on dit a fait un beau mariage, travaille dans un grand groupe pharmaceutique, ce qui le conduit à déménager sans cesse, dans le monde entier. Trop déstabilisant pour ses jumeaux, qu’il envoie chez ses parents.

Apparition étrange, un matin à l’école. Deux êtres semblables et, immédiatement, là question qui contient en elle tout le drame :  « Mais qui est le garçon et qui est la fille ? »  Comment prennent-ils le pouvoir sur leur aîné, Raphaël ? Comment charment-ils – au sens le plus fort du mot – en toute innocence, eux, dont Raphaël dit un, jour que la culture était  « leur habitat naturel ? » Comment ces trois enfants, puis jeunes gens, deviennent-ils ce dangereux trio, mortel pour les autres comme pour eux mêmes ?

C’est tout l’enjeu de ce beau roman qui ne donne pas de réponse moralisante.

Josyane Savigneau, Le Monde des Livres ( 21 oct 2005).