L’Ours, juin 2008, article signé Elisabeth Céped


LA POLITIQUE AU FÉMININ

Voici un livre de femme. Nul homme n’aurait eu l’audace d’entraîner ses lecteurs dans une ballade dans les profondeurs de sa psyché, pour élucider à partir d’un sentiment de « contentement » nouveau, sa réaction face à l’évènement national que fut la candidature d’une femme à la dernière élection présidentielle.

Pour la première fois dans mon histoire personnelle, je me suis sentie intimement et joyeusement concernée par les élections » explique Pierrette Fleutiaux.

La femme qui parle a une sensibilité de gauche mais n’adhère à aucun parti, elle ne porte aucun jugement sur le programme de la candidate. Elle parle de sa place de citoyenne dans une société encore dirigée essentiellement par des hommes. déçue dans ses espoirs, elle l’a été, mais elle réagit en analysant ce qu’elle vient de vivre et s’explique l’échec par le contexte social actuel.

Femme, du moi au nous

Le propos est sérieux, mais la forme volontairement primesautière. Il s’agit d’afficher sa différence. Se moquant des stratégies démonstratives, l’auteure semble passer du coq à l’âne mais trace bravement son chemin dans l’entrelacs des raisons de son « contentement ». Ce faisant, elle décrit son mode de pensée – par association d’idées et d’affects, de souvenirs – ce qui fait surgir, par bribes, l’histoire de sa vie. Autobiographie simplifiée, rapide, qui montre l’enchaînement des faits qui l’ont faite ce qu’elle est aujourd’hui.

Elle fait aussi partager ses recherches et à l’élaboration du livre que nous lisons. Elle retient pour nous, l’essentiel d’une étude savante de françoise Héritier, Masculin/Féminin (Tome 1, « la pensée de la différence », Tome II, « Dissoudre la hiérarchie »). La sociologue-anthropologue y dénonce « la valence différentielle des sexes ». En langage simple, : le masculin l’emporte sur le féminin. Pierrette Fleutiaux vérifie que bien des femmes « ont du mal à penser leur propre place,, elles sont si habituées à penser dans le miroir masculin. »

Cette réflexion sur le « genre » de la différence entre les sexes nous promène à la linguistique – emploi de « il » ou « elle », féminisation des termes pour les femmes qui accèdent à des domaines longtemps réservés aux hommes – à l’évocation des groupes féministes des années 68, sans oublier les comportements misogynes des jurys des prix littéraires. N’oublions pas que c’est une romancière qui enquête.

Misogynie

Elle analyse la misogynie ordinaire des hommes et des femmes qui a explosé dans les critiques adressées à la candidate. Surprise par ses propres inquiétudes pour une femme qu’elle ne connaissait pas mais dont la simplicité et le beau sourire lui ont inspiré confiance. « J’ai eu la perception que l’énergie politique de la candidates aux mêmes foyers, du moins à des foyers qui s’étaient allumés dans des zones qui me sont proches, que je peux comprendre, et avec lesquelles elle a gardé le lien ». Tout fait souci. La garde-robe tant moquée, jupe, chaussures à talon, absence de sac à mains seront justifiées. Et la polémiste s’insurge : porte-t-on la même attention aux vêtements des candidats ?

A-t-elle vraiment dit « aimons-nous les uns les autres ? ». Je ne m’en souviens pas. N’aurais-je pas pu l’entendre, trop pessimiste ou trop sceptique sur les propositions d’attraction d’une telle proposition. Pierrette Fleutiaux, s’est enflammée, elle. « L’ordre juste », un beau terme sinon une promesse. Mais se méfiant de ses emballements, elle se surprend à chercher auprès d’amis, une caution. Attitude féminine typique dont elle voudrait tant se débarrasser. La soirée des élections avec l’attente des résultats et le portrait du vainqueur s’affichant sur l’écran du téléviseur, ravive un serrement de coeur chez bien des électeurs/électrices.

Une énergie communicative

Miracle, l’energie politique de la candidate excite l’énergie de l’auteure qui n’ayant pas de roman en chantier – le livre sur Anne Philipe attendra !) – revient à sa recherche de la féminité. Quelques souvenirs personnels pour retracer les difficiles étapes de la conquête de soi. « Quant à moi, au début assez fière, ma foi, car j’étais un homme comme les autres, avec en plus cette apparence de fille qui un plus auprès d’eux… Il m’a fallu du temps pour assimiler que j’étais une femme et que les hommes c’était eux, et que ça faisait une sacré différence. »

L’auteure n’a aucune animosité contre les hommes. Ils profitent sereinement d’un fait. Qui le leur reprocherait ? On s’attendrit même sur ceux d’entre eux, généreux « papas » qui partagent avec leur compagne les soins à donner aux enfants. Le changement est en marche. Quelque chose a déjà bougé : « Je sais que l’apparition d’une femme, tout en haut dans notre ciel politique a modifié mes perceptions, réveillé des interrogations endormies, éclairé de neuf nos paysages quotidiens. Elle a rappelé à mon existence à nous. »Emportée par son enthousiasme, elle gère déjà sa nouvelle naissance, en ajoutant « elle a brisé l’isolement, nous a rappelées à nous-mêmes… »

Ce livre hors-norme peut-il pousser les femmes et les hommes de bonne volonté à une révision de leurs préjugés ? Il offre en tout cas un regard décalé sur une candidate et une campagne présidentielle dont tous les enseignements n’ont pas pas encore été tirés.

Elisabeth Céped  – L’Ours (juin 2008).