Courrier des lecteurs/lectrices…

 

Lettre d'Amélie NOTHOMB sur "Destiny", 15 avril 2016.

"Je l'ai lu hier soir sans pouvoir m'arrêter. Quelle émotion ! D'un sujet typiquement d'actualité, vous faites du vrai, de la vie, avec tout ce que celle-ci comporte de beau, de drôle, d'horrible, d'absurde, d'ambigu, d'héroïque, d'agaçant et d'incompréhensible. Quelle rencontre puissante et déboussolante !...
Je repense à vos autres livres et je me dis que votre talent est suprêmement de rencontrer : l'autre, soi-même, l'amie, l'inconnu. Vous avez ce génie de regarder pour de bon la nouvelle venue et de raconter ce que vous voyez. Flaubert l'a dit, la bêtise, c'est de conclure. Vous ne concluez jamais. Quelqu'un est passé, quel événement !..."

 

 

 

Courrier de Catherine DIDON sur "Destiny", 18 mai 2016.

"Bonjour Pierrette Fleutiaux, Je viens de quitter Destiny, et, bien qu'il vaille mieux ne pas conclure (Flaubert), je n'en ressens pas moins une espèce de regret d'ignorer ce qu'elle est devenue... car je doute fort que Destiny soit un personnage imaginaire. Et, même si elle n'est pas tout-à-fait votre personnage, même si Anne n'est pas tout-à-fait l'auteure du récit, nul doute qu'elle et vous ne sont pas des étrangères l'une à l'autre. Beau récit, écriture sobre - comme si l'urgence où se meut Destiny avait contaminé jusqu'au style, à la virgule près, - terrible réalité devant laquelle on se sent impuissant, dépassé, effrayé aussi car notrehistoire, notre culture, notre schéma mental ne nous ont pas préparé à faire face à l'inimaginable tragédie vécue par tant de peuples.

Bravo : en extrayant de la masse des migrants la figure lumineuse de cette jeune femme, vous avez réussi à lui donner chair, et, par là, à faire ressentir au lecteur tout le drame des exilés forcés. Je ne vous avais pas lue depuis "La saison de mon contentement", je vous ai retrouvé avec grand plaisir."

Amicalement. Catherine Didon ( écrivain ).

 

 

Courrier de Annick Jourdain sur "Destiny",  avril 2016

J'ai rencontré avec un intérêt éveillé et profond Destiny et Anne; chacune, avec sa multitude et tous les Autres qui fuient les douleurs...on se sent de suite au coeur du présent. Je retiens ce passage: ..." Depuis qu'elle (Anne) connaît Destiny, cela lui arrive, de brusques envies de pleurer. Ces envies ne vont pas jusqu'aux larmes, elles font comme un nuage lourd qui s'épaissit quelque part dans le système physiologique complexe entre yeux et cerveau"... Oui, ce récit m'a touchée comme si je regardais un tableau huile et aquarelle mêlées. Formidable; je l'ai lu sans m'arrêter. J'ai vraiment aimé ce bel et solide écrit-mains, point avant, point arrière...et point avant... qui sait faire surgir avec force et talent les petites et les grandes violences des hommes et la puissante recherche d'une joie ordinaire. Humour et tendresses sont au rendez-vous avec le lecteur. Tout au long de ce zoom magnifique sur la relation humaine si complexe entre deux femmes si éloignées et si proches, au gré du langage, du peu-de-words, d'un dynamisme d'évocations , souvent, je me suis sentie sur le qui-vive; un peu comme un oiseau qui chante, qui chantera encore et encore, posé sur un fil....de téléphone. On lit avec un plaisir de vie et on continuera à vivre avec ce récit. C'est un éclairage humble et fort de l'humain joué ciselé ...à lire absolument. Merci Pierrette et bravo!

 

 

Courrier de Jacques Zins sur "Destiny", 8 avril 2016.

Pierrette,

J'ai lu qch qui m'a plu, énormément. Peut-être auras-tu l'occasion de partager mes moments de contentement.

Rien n’obligeait Anne à s’arrêter et à retourner sur ses pas ce jour là, dans un couloir de métro. Elle aurait pu s’intéresser plutôt à ce "tout jeune père" donnant le biberon à son enfant et visiblement "en grand besoin de soutien" mais son destin à elle ne pouvait l’orienter que vers une personne semblable dissemblable, une femme, enceinte mais si différente pourtant par ce qu’on supposait des tourments vécus. Cette résolution à retourner sur ses pas donc devait nécessairement "la mener quelque part".

Il n’y avait rien "dans la vie d’Anne … qui puisse lui servir à comprendre, vraiment, de l’intérieur, la vie de cette femme". Mais cette dame en détresse qui avait traversé océan, désert, qui avait bataillé dur pour se retrouver là, n’était-elle pas plus légitime à cet endroit que celui qui avait eu sa place en héritage ?

Destiny "ne revendique aucun drapeau, aucune cause" ; elle ne connait pas Paris pour sa tour Eiffel, elle ne connait de la France que le 115. N’est-elle donc là que pour les prestations sociales ? Destiny est seulement un corps que rien n’entoure : elle ne se déplace qu’avec ce qu’elle peut porter, y compris son enfant. Elle est le paradigme d’une humanité en mouvement.

L’humain porte en lui une histoire qui n’est pas immédiatement perceptible par l’autre ; il perçoit et appréhende plus facilement ce qui entre en résonance avec sa connaissance sensible. "Anne n’est pas en familiarité avec le visage de Destiny", se trouble de ne pas la reconnaître? L’histoire de l’Homme, écrivait Marx (Manuscrits de 44), est l’histoire de la formation de ces cinq sens. "Les gens de son pays (d’Anne) sont enfants de plusieurs siècles d’alphabétisation". Quel rapport commun de représentations peut-il y avoir entre un monde où on peut être géniteur d’une trentaine d’enfants et un autre qui a du mal a renouvelé son capital démographique ?

Le récit que livre Destiny porte les arborescences floues d’une histoire qui s’organise en se décomposant et se décompose en s’organisant. Faut-il, pour s’amarrer dans un nouveau port, s’inventer une histoire pour en avoir une, s’affranchir du passé pour espérer un présent ?

Anne est-elle déconcertée par le corps de Destinty comme Pierrette s’était emparée, le temps venu, de la destinée de Loli, comme elle s’était sentie pénétrée par l’esprit d’une amitié avec Anne Philippe ou contentée d’une saison avec Ségolène ?

Les enfants de Destiny pourront-ils remorquer ce monde vers une humanité ouverte eux qui n’ont pas eu de langue maternelle. Pourront-ils refonder un monde avec les petits enfants d’Anne ?

Destiny est une réflexion non seulement sur la rencontre des cultures, la collision des représentations afférentes, mais aussi sur les nécessités de la survie, sur le rapport au corps de l’autre, sur l’interrogation déconcertante que l’étrangeté peut susciter, sur ce monde inconnu dont il est la parentèle et l’histoire.

Pages de beauté fulgurante, de sincérité, de vérité sensible.

Un laissez-passer d’humanité.