La Cité, 24 novembre 1994, A.M.P


ROBIN ET LA PETITE SIRÈNE

 » Allons nous être heureux ?  » Question essentielle que Pierrette Fleutiaux traite en
remontant dans le passé de ses personnages. Un roman comme un conte de fées moderne.
Parodique.

Allons nous être heureux ? Question essentielle que se posent tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, entreprennent de faire ensemble un petit bout de chemin. Question que se poseront donc, un jour, Robin et Beauty quand ils se rencontreront, se reconnaîtront et décideront de faire ensemble un bout de chemin, le plus long possible. Ce jour là, Beauty racontera son enfance à Robin qui se plaindra, lui, de son manque de mémoire. Mais ce jour là est encore lointain et Pierrette Fleutiaux ne nous en dira pas grand chose, sinon qu’il existera et sera sans doute très beau. Même si le happy end n’est pas tout à fait assuré.

Le titre anticipe la fin du livre qui raconte, lui, tout ce que Robin et Beauty auront à se dire, à partager. Allons-nous être heureux ? pose la question fondamentale du futur en remontant aux sources de chaque être, à son passé. Beauty et Robin sont tous deux des êtres  » différents  » , avec la force, la fragilité et la tolérance que cela engendre. D’origine française, Robin vit à New York avec ses parents et voudrait désespérément être  » normal « . C’est à dire américain. Avoir une maman sans accent, connaître tous les noms de tous les joueurs de baseball… Beauty, elle, est née à Miami dans une famille on ne peut plus américaine. C’est à dire  » tournée vers le futur «  et les deux pieds sur terre, campés dans les horaires à respecter et les réalités matérielles. Elle, au contraire, petite fille disgracieuse, est un lien vivant avec le passé. Et elle porte en elle une vie intérieure intense. Petite, elle a longtemps regardé le ciel de Floride, elle est tombée dans l’eau de la piscine et  » partout en elle s’est étendu le bleu magnifique « . Depuis, en elle,  » celle qui décide est la sirène inconnue qui habite à l’intérieur d’elle-même, dans l’eau bleue répandue au fond de son âme, et cette sirène n’a pas à se soucier du monde extérieur, de ses écueils et de ses tempêtes « .

Cela lui donne une étrange intuition des autres et de ce qui leur convient. Elle pourra réconforter son père mieux que quiconque quand il perdra son emploi. Car la douleur fait irruption dans les pages. Dans la famille de Beauty, c’est la faillite qui fait voler en éclats le modèle américain, déséquilibrant les sœurs aînées, les parents. Pour Robin, la douleur c’est de quitter l’Amérique et de rentrer en France,  » ce pays tellement riquiqui que c’est à peine si ses copains savent où il se trouve. «  Et cela se passe mal, surtout à l’école. Et puis ses parents divorcent et le monde s’écroule. Et les avions, les taxis, les aéroports… Robin et Beauty, c’est la fascination de l’un pour l’Amérique et de l’autre pour l’Europe. Des regards croisés qui démontent les mythes d’ici et de là-bas. Et le drapeau américain le symbolise à merveille avec  » les étoiles, à qui on dit « oui » bien sur, et les barres, les sombres barreaux qui bloquent la vie, on dit « non », cela va de soi « . Robin et Beauty, c’est la souffrance que l’on surmonte et qui rend meilleur. Allons-nous être heureux ?, c’est une sorte de conte de fées des temps modernes. La vilaine petite fille s’y transforme en ravissante jeune fille, le petit garçon exilé trouve sa place dans la vie. Et puis, il y a la piscine de Beauty, un peu magique, et le ballon de Robin,  » un être à part, un génie très fidèle et très rusé. «  Comme dans les vrais contes de fées, les épreuves sont initiatiques et permettent de progresser. Les obstacles permettent de grandir. Le symbole est partout présent. Mais sans lourdeur, sans insistance. Un roman qui allie le regard grave et sans concession des enfants et le regard apaisé et porteur de sens d’une maturité : assumée et sereine. Merveilleuse synthèse.

A.M.P, La Cité (24 novembre 1994).