Lire, n° de sept 2005, Supplément de la rentrée littéraire, Christine Ferniot


LE PARADIS PERDU DE L’ENFANCE

Trois enfants : deux sont riches, l’un est pauvre. La descente vers l’enfer peut commencer.

Raphaël a tout juste neuf ans lorsque les jumeaux se plantent devant lui, le regard fixe, l’air de tout savoir de la vie, de tout comprendre de la société qui les confond sans cesse pour leur plus grande jubilation. Léo et Camille sont riches, Raphaël est pauvre. Ils sont libres, Raphaël obéit à toutes les règles sociales et familiales. Ils voyagent, Raphaël les attend en rêvant d’être leur indispensable béquille. Histoire d’adoption, de fascination, ces trois-là deviennent inséparables pour une inévitable dérive qui les entraînera loin du paradis de l’enfance, jusqu’au fond d’un prétoire avec un crime à justifier.

Comment évoquer la gémellité sans tomber dans le cliché ? Comment raconter un monde désorganisé où la sexualité est fluctuante sans copier Cocteau et ses fantasmes poétiques ?

Pierrette Fleutiaux évite tous les écueils dans ce roman trouble et sensuel qui ne parle finalement que d’innocence. En laissant à Raphaël, devenu adulte, le soin de reprendre le fil de son histoire, la romancière se glisse dans la pensée de ce garçon modeste et fragile qui ne demandait qu’à échapper à toutes les contraintes. Pierrette Fleutiaux suggère tout sans rien affirmer : la sensualité, le désir, les dérives mortifères, les jalousies et les mensonges. Voici quatre ans, elle avait publié un roman sur la vieillesse et la mort de sa mère (Des phrases courtes, ma chérie ), un récit douloureux comme l’absence qui laissait penser que la fiction l’intéressait moins. Auparavant, elle avait longtemps navigué du côté d’un fantastique sans emphase en compagnie de fées.

Avec Les Amants imparfaits, elle réunit ses deux inspirations en mêlant le fait divers et le conte. Le résultat est obsédant jusqu’au morbide. L’auteur avance ses pions, place les anecdotes : des premiers regards d’enfance aux derniers mensonges d’adulte. On comprend dès la scène d’introduction que son héros est dupé, fragile, mais conscient de l’abîme dans lequel il tombe avec docilité. Il accepte d’emblée de perdre tous ses repères comme on abandonne ses meilleurs amis. Le lecteur en sort troublé et séduit, avec le sentiment d’avoir lu un livre gigogne qui ne se donne pas au premier regard.

Christine Ferniot, Lire, (n° de sept 2005).