Études, nov 2005 – Françoise Le Corre


Un mélange de peur et de ravissement : c’est le souvenir que garde Raphaël de sa rencontre avec les jumeaux, Camille et Léo, enfants gracieux, pas du tout agressifs, déjà profondément troublants, « une telle solitude, chacun, et pourtant un tel compagnonnage. » Inséparables, si semblables qu’on peine à les reconnaître. Qui est le garçon, qui la fille ? Ils avaient six ans alors, Raphaël neuf. De ce trouble, durant vingt ans, il ne sortira pas, aspiré dans ce cocon gémellaire comme le troisième qui manque, le substitut de celui qui avait été conçu en même temps que les jumeaux, étouffé, dévoré par eux, comme devaient le révéler les images de la science…

Il y a bien l’amitié de Paul, dont il apprécie la simplicité, les filles rencontrées à l’adolescence, mais rien, jusqu’au drame, ne le guérira de ses tourmenteurs au regard clair, si clair que, le coeur chavire autant qu’il se révolte. Et il faut bien retourner aux premiers instants pour les voir tous les trois ensuite, scellés dans une impossibilité à vivre et à aimer, condamnés aux détours tragiques que l’on ne peut éviter quand l’amour et la sexualité, disjoints, s’exaspèrent et désespèrent. Parler d’innocence et de perversité, c’est encore décrire de l’extérieur.

C’est justement pour sortir de tous les raccourcis que Raphaël s’attache au labeur de l’écriture. Ce qu’il dit alors, ce ne sera pas ce qu’il a répondu à madame la juge, lors du procès. C’est autre chose aussi que ce qu’il a dit à son psychanalyste. C’est en arrière, infiniment plus puissant et plus subtil à la fois :  « Une phrase qui semble venir d’ailleurs, qui s’énonce toute seule dans ta tête, avec un rythme qui te surprend toi-même et qui semble porter une expérience bien plus vaste que la tienne. »

Vertigineuse écriture que celle de Pierrette Fleutiaux, qui accule le lecteur au procès et à l’explication psychanalytique comme nécessaires, avant de le pousser à les récuser, comme insuffisants. Pour laisser libres les vibrations infinies du vivant.

Françoise Le Corre, Études (novembre 2005).