L’Alsace, 14 nov 1994, Danièle Brison


COMME UN ARC-EN-CIEL

Il était une fois un petit garçon français qui habitait New York où son père travaillait et où sa mère avait du mal à être heureuse. Il était au même moment une petite fille appelée Beauty qui grandissait dans sa maison spacieuse de Miami sous le regard inquiet de ses parents, Mr et Mrs Berg et de ses aînées jumelles : c’est que Beauty n’était pas belle… Et puis, le temps passa.
Allons-nous être heureux est un conte d’aujourd’hui. Une histoire douce, pas plus étrange que le destin, que Pierrette Fleutiaux a posée, un peu comme un arc en ciel, par dessus les deux rives de l’océan Atlantique. Une histoire où tout encore peut arriver : Robin et Beauty un jour se rencontreront, ils s’aimeront, prendront souvent l’avion, ces grands avions bleutés qui laissent parfois dans leur sillage comme des points de suspension qui se prennent pour des nuages.

LA VILLE DE BATMAN

Robin, dont le vrai prénom était Franck mais ça ne faisait pas assez américain, alors il disait s’appeler Robin, était heureux dans la grande ville plantée de buildings, folle de lumières et de bruit, faite, il l’avait deviné, pour les exploits de Batman. Beauty, trop grande, trop maigre et la bouche si large que son sourire faisait peur, s’ennuyait à Miami. Robin dut rentrer : les parents l’avaient décidé. Il ne put se métamorphoser : petit Américain, il l’était devenu, il voulut le rester, toujours à se cogner contre les coins d’une France trop petite. Beauty se, transforma : elle devint si belle qu’elle se fit mannequin. De préférence en Europe. En Floride, l’élégance…
Le plus souvent, les romans d’amour dépeignent le monde adulte, l’enfance y est évoquée à petites bouffées. Pierrette Fleutiaux fait exactement le contraire. C’est l’enfance qui envahit toute l’histoire. L’enfance prise sur le vif, c’est-à dire que le lecteur sait tout ou presque de ce que les jeunes gens auront, au long des jours, à se raconter.

EXPLORER LES MONDES

Si Pierrette Fleutiaux relève, avec beaucoup de finesse les différences entre les deux éducations, elle ne reste pas, en lisière de ses observations. Chacune des familles est ainsi présentée et ce que l’une possède en références culturelles plus acquises que vécues, accuse l’écart avec l’autre, gavée de télévision et résolument pragmatique. Et pourtant il y a des failles dans lesquelles s’infiltrent des points communs que ni l’une ni l’autre bien sûr, ne saurait soupçonner. Mais à quoi serviraient les romans si ce n’était à explorer les mondes qui font le monde ?

L’écriture, très vive, ressemble à ces moments où l’on est heureux mais qui s’ensuivent parfois d’une mélancolie, peut-être parce que le soir tombe, que la journée était si belle qu’elle a passé très vite, par enchantement. On sent chez l’auteur qui a vécu aux États-Unis, une amitié amusée pour ce pays où tout est à découvert, le meilleur et le plus sinistre. L’histoire est bien conduite. Pierrette Fleutiaux, sait se faire la complice de ses personnages. Seront-ils heureux?

Danièle Brisson, L’ Alsace (14 nov 1994).