Télérama, 28 décembre 1994, Laurence Liban


AU PETIT BONHEUR

Un auteur heureux pose la question
du bonheur à travers l’histoire d’une rencontre.

 » Allons-nous être heureux ?  » Bonne question. Parce qu’après tout on a beau s’en moquer, du bonheur, on n’en passe pas moins sa vie à courir après. Cette interrogation, Pierrette Fleutiaux en a fait le titre de son septième livre ; un roman allègre où l’Amérique neuve et la vieille Europe frottent leurs peaux, leurs origines et leurs douleurs.

 » Allons-nous être heureux ? « , se demandent Robin et Beauty à l’aube de leurs 20 ans et de leur vie commune. Fée tutélaire à la plume bienveillante, l’auteur regarde du haut de sa montagne magique ces deux enfants grandit et converger secrètement l’un vers l’autre. Elle suit la course de la flèche et connaît par avance la vibration intime de la pointe fichée. Visionnaire, Pierrette Fleutiaux ? Certainement. Avec une liberté sûre de son fait et sans s’excuser des privilèges qu’elle s’octroie. Comme celui de baigner de bleu l’âme d’une petite fille tombée dans la piscine. Ou de dire le désespoir « presque très affreux «  afin de glisser dans le  » presque «  une promesse de consolation.

L’histoire est simple comme bonjour. D’un côté, New York et la vie d’un petit garçon venu de France et qui veut être  » normal « , c’est à dire américain, comme ses copains Brad et Jim ; de l’autre, Miami et cette gamine à l’allure de grenouille, dont le sourire provoque des accidents de la route. D’un chapitre à, l’auteur déploie le rêve américain et laisse entendre, au cœur l’élégie, les détresse d’un  » pays dangereux  » : il attise des rêves et clac, devant la réalité les rêves sont détruits. Cela, l’auteur l’a vécu et le raconte aussi dans l’Histoire du tableau.

Dans les années 70, elle s’installe, avec son mari, pour sept ans à New York :

un déracinement total ; toutes les valeurs changent, le cocon éclate, on se trouve soudain fragilisé « , se rappelle-t-elle aujourd’hui…

Pierrette Fleutiaux est née à Guéret, dans la Creuse, en 1941. Mais elle n’en a gardé que le souvenir des deux prisonniers allemands qui aidaient à la ferme de ses grands parents ; de ce temps là est né en elle  » le sentiment d’une catastrophe majeure « … Plus tard, la fille du directeur de l’École normale de garçons, plus surveillée qu’une infante à marier, n’aura de liberté qu’au milieu des livres, de Jules Verne à Platon, dont elle trouvait  » marrante «  l’histoire de la caverne. Ayant affiné sa perception philosophique, Pierrette quittera le pays des lectures solitaires pour Paris et  » l’agreg «  ; chambre en ville, nouveaux amis, plus vifs, et le sentiment, agaçant et nouveau, de ne rien, comprendre et être mal attifée.  » On a beau dire, il en reste toujours quelque chose. « 

Vraiment ? Elle est si vivante, si chaleureuse qu’on aimerait être à sa place un petit moment. Juste pour voir ce que c’est, un écrivain heureux :

J’ai toujours eu grand plaisir à écrire : on découvre un filon, on le suit pendant cinq-six pages. Si rien ne vient j’abandonne, je n’ai pas de temps à perdre. L’écriture, c’est une remise en ordre du monde. Autrement quel chaos effroyable ! « 

Ce chaos, elle l’a exploré dans Métamorphoses de la reine, réécriture des contes de Perrault, où la femme tient le haut du pavé fantasmatique ; et elle l’a revisité encore dans l’Histoire de la chauve souris… Quant au bonheur, est-ce en pensant à ses élèves d’anglais du lycée Chaptal qu’elle dit :

Vont-ils oser ? Oser se mettre en couple, oser affronter tout ce à quoi on n’a pas pensé, l’infidélité, le malheur, la vieillesse ? « 

Elle distille une telle confiance que l’on a envie d’ajouter :  » N’ayez pas peur, enfants du siècle, le bonheur est dans le pré. »

Laurence Liban, Télérama (28 décembre 1994).